C’était un curieux spectacle, dans ce matin désert, avec cette route vide devant soi et ces champs vides, des campagnes vides, pas une âme qui vive, il semblait que personne, excepté lui, ne s’était souvenu de l’existence de ce morceau d’univers. Et elle était là-bas, au bout, derrière le tout dernier rideau d’arbres et même plus loin encore, probablement dormait-elle la tête enfouie dans l’oreiller, la lumière du jour naissant pénétrait par l’entrebâillement des doubles rideaux dans sa chambre illuminant la masse de ses cheveux noirs, immobiles. Etait-elle seule ?
Il comprit à l’improviste la signification de cet enchantement de la nature. Que voulaient donc lui dire ces longues lignes de peupliers à l’horizon, dans ce cortège, dans ce ballet où ils semblaient le fuir et tout à la fois courir à sa rencontre, pour s’éloigner à nouveau derrière lui, dans la brume, se perdre, tandis que d’autres venaient prendre la relève et se précipitaient sur lui ?
Il comprit soudain ce qu’ils disaient, il comprit la signification de ce monde invisible qui vous laisse stupéfait, sachant dire seulement « que c’est beau ! » tandis que quelque chose de grand pénètre dans votre âme. Il avait vécu toute sa vie sans en suspecter la raison. Combien de fois n’était-il pas demeuré en admiration devant un paysage, un monument, une place, un jardin, l’intérieur d’une église, un rocher, un sentier, un désert. Et finalement c’était seulement maintenant qu’il perçait le secret. Un secret fort simple : l’amour. Tout ce qui dans le monde inanimé nous fascine, les bois, les plaines, les palais, les pierres, plus encore, le ciel, le vent de la montagne, les tempêtes, plus encore la neige, plus encore , la nuit, les étoiles, le vent, toutes ces choses, indifférentes et vides par elles-mêmes, se chargent d’une signification humaine dans la mesure où, sans que nous en prenions conscience, elles contiennent un pressentiment de l’amour.
Il demeura abasourdi de ne pas s’en être aperçu plus tôt. De quel intérêt serait une falaise, une forêt, une ruine, si une attente n’y était implicitement contenue ? Et attente de quoi, de qui, sinon d’elle, de la créature qui pourrait nous rendre heureux ?